Photo 1 : Balcons à encorbellement, garde-corps métallique et toiture à la Mansart.
Si vous étiez Ridley Scott et que vous ayez décidé de tourner des séquences d’un film historique à Monflanquin, au lieu de Monpazier (par exemple), quels bâtiments, quels éléments d’architecture auriez-vous masqués parce qu’ils sont anachroniques ?
Monflanquin est connu essentiellement pour son patrimoine médiéval. Le village a cependant continué à vivre au fil des siècles et la fin du XIXème siècle y était riche d’activité économique. Malgré une population en déclin constant, le village comptait encore 3 299 habitants en 1876.
Les habitants y ont fondé des familles, y ont travaillé et ont adapté les lieux hérités de leurs ancêtres à leurs besoins ou à la mode du jour. Ces nouveautés passent souvent inaperçues aux yeux du flâneur qui se laisse simplement baigner par le style moyenâgeux des rues.
Se promener le nez en l’air permet de découvrir ces « nouveautés », qu’elles soient ou non un pastiche du Moyen-Âge.
Premier témoin de cette époque, l’église St André. Dans les années 1860, le toit de l’église est rehaussé et elle retrouve un plafond voûté et un nouvel orgue. Les vitraux les plus anciens encore visibles aujourd’hui, datent de 1879. Ce n’est cependant qu’en 1923 que sa silhouette si reconnaissable de loin est finalisée par la construction du clocher-mur.
Autour de la place des Arcades se décèle aussi cet héritage du XIXème siècle.
La mairie, à l’angle de la place et de la rue des Arcades, se distingue par des balcons en encorbellement soutenus par des consoles de pierre à volutes et munis de garde-corps en métal. Pour compléter le tableau, des corniches et des lucarnes à ailerons surmontées de frontons posées sur une toiture à la Mansart. (photo 1)
Les balcons en encorbellement commencèrent à être construits à Paris au milieu du XVIIème siècle. Incontournables sur les façades des immeubles haussmanniens, la mode s’est répandue rapidement dans les provinces. L’époque de ceux-ci pourrait être définie grâce à l’étude des règlements successifs de construction.
La maison voisine affiche plus modestement un gracieux balcon à consoles métalliques.
Tournez le coin, rue des Arcades, une porte surmontée d’un fronton triangulaire très orné de feuillages et sculpté d’un masque « à la mode du XVème siècle », arbore la date de 1880 !
Plus bas, à l’angle des rues St Pierre et de l’Union, une grande maison est en travaux actuellement. Une vieille carte postale nous montre que c’était un café au début du XXème siècle.
Regardez bien : l’angle de la maison a été arrondi pour faciliter le passage des carrioles. Un joli mascaron à l’image d’un soleil a été sculpté tout en haut (Photo 3) ainsi qu’une petite niche qui permet d’installer l’effigie d’un saint. La large porte d’entrée surmontée d’une imposte vitrée arrondie permettait au flot des clients d’entrer dans la salle éclairée de belles fenêtres à linteau cintré, bien loin des petites fenêtres géminées du Moyen-Âge. Et, en sus, encore un joli balcon métallique !
Difficile de trouver de la documentation au sujet des constructions/transformations de cette fin du XIXème siècle. Certaines ont bien sûr bénéficié de fonds publics ou privés importants qui donnèrent lieu à des traces écrites.
C’est ainsi qu’on peut retrouver un avis de la municipalité qui note en 1852 que « le temple protestant de Monflanquin (rue Ste Marie) se trouve dans un état complet de délabrement. Il est urgent de le réparer…». Il faut finalement près d’un quart de siècle pour que des réparations soient entreprises en 1876. Sa façade et son fronton et une partie du bâti intérieur en témoignent.
De même, le Conseil Général lance au début du siècle suivant la construction de la ligne de tramway Villeneuve-Villeréal via un concessionnaire privé. L’ancienne gare en constitue une preuve encore bien présente au pied de la bastide. Une construction robuste semblable aux centaines d’autres dont le territoire français fut parsemé dès avant la première guerre mondiale. Elle est toujours occupée aujourd’hui par une entreprise bien connue à Monflanquin.
Je suis sûre que votre œil attentif vous fera détecter encore d’autres signes de la « Belle époque ».
A l’heure où la conservation du patrimoine est un atout touristique donc économique et où les rues du village semblent un peu figées dans un lointain Moyen-Âge, on peut se demander si nos descendants auront l’occasion de retrouver une empreinte architecturale originale de ce début du XXIème siècle. Tant mieux ? Tant pis ? A vous de voir…
Michèle Rampelberg – SLA n°653-654-655 Mars-Avril-Mai 2020